A propos des costumes.

C'était il y a plusieurs années. Le cirque Biasini avait posé son chapiteau au bord de la Seine et c'était l'hiver, il y avait des flaques de verglas sur le quai, des surfaces grises et froides sur lesquelles on marchait doucement. La veille j'avais réussi à rentrer dans le chapiteau et j'avais assisté gratuitement au spectacle à l'ancienne, les paillettes et les collants de soie m'avaient aveuglé, je regardais Marco faire le clown et j'avais laissé la trapeziste m'hypnotiser. La trapeziste était fine, son costume lui collait à la peau et sa silhouette balançait dans les airs dans un élan de passion du corps et des arts, on voyait son ombre spectaculaire voler autours des rideaux rouges, c'était son moment d'existence certaine et implacable. Un maillot de soie rouge lui donnait l'allure d'une étoile filante.

Le lendemain au petit matin je suis revenu sur les quais pour y trouver le chapiteau et apporter aux artistes des biscuits dans une jolie boite. Le chapiteau était fermé, quelques lumières matinales sortaient des caravanes. Marco m'a acceuilli et dans le fond du décor d'hiver j'ai vu sortir d'une caravane la trapeziste de la veille. Elle portait un survêtement gris et sale, ses cheveux étaient décoiffés, elle buvait du café noir dans un gobelet blanc cassé, elle ne ressemblait plus à rien de spectaculaire. C'était ainsi que la vie tournait en dehors des étoiles.

Hier soir j'ai pensé à elle alors qu'on débarquait avec nos gros sabots et nos bonnets de laine au milieu du gratin de costumes, cravates, maquillages et propreté. Un instant, j'ai vu tous ces jolis pantins dans leurs pyjama et j'ai souris, j'ai perdu quelques litres de confiance en moi, au monde, et je me suis dis. Qu'on devrait vivre nus, et puis fermer nos gueules.

Comments

[gballand]

"C'était ainsi que la vie tournait en dehors des étoiles"... un désenchantement que l'écriture peut réenchanter.