J'ai toujours souffert d'une carrence
J'ai toujours souffert d'une carrence d'éducation, j'avais l'esprit mal élevé. Non, pas mal élevé, il n'y avait rien de mauvais dans cette absence d'éducation, finalement simplement des creux. Des vides qui hurlaient d'être vides et qui jalousaient le plein en s'obstinant à vivre, des vides comme des démons dansant et riant, des vides ouverts, écartelés, des vides qui n'en finissaient pas de se vider encore, de creux distordus et s'aspirant eux-même, des trous noirs qui n'aspiraient qu'à devenir plus grands, des vides rongeant le plein jusqu'à la moëlle et clamant leur grandeur, des vides chargés d'energie révolutionnaire, des riens convaincus de changer le monde, des blessures persuadées d'être des guérisseuses. C'était là que la souffrance se faisait le dos rond, c'était là que je puisais mes forces et mes vibrations intérieures, exactement dans l'absence et dans tout ce que celle ci pouvait supposer de présence. Maintenant je vois un monde plein comme un oeuf qui aurait deux blancs et deux jaunes, une époque charnière qui n'en peut plus de se remplir parce qu'elle a peur du vide. Mes propres creux se sont laissé combler par de la matière confortable et informe. Maintenant je vois des couches épaisses qui se superposent et s'assemblent, du béton sur la terre et du béton sur le béton, et du bitume sur le béton, et du métal sur le bitume, et du plastique sur le métal, et des décorations sur le plastique. Maintenant je parle avec mon vide et nous discutons à propos du manque, et nous discutons pour savoir si c'est un manque de choses ou un manque de rien. Nous finissons par s'accorder sur le fait que les choses sont bien là, partout, et qu'elles gènent le passage des idées. Le vide et moi sommes donc d'accord sur le fait que nous ne manquons pas de choses puisque nous ne manquons de rien. Le vide me dit qu'à lui, c'est le manque qui lui manque. J'ai vécu tant de vies différentes que mon regard et ma cervelle idiote peinent à faire un constat malheureux. Un constat qui s'approche de la mort de par la froideur qu'il dégage et surtout un constat qui rendrait cacochyme n'importe quel morceau de vie hurlant et grandissant. J'arrive à me plonger encore dans les sensations du manque et de l'absence, ce que ma mère appelait "la vraie galère" et qui m'apparaissait être la chose la plus vivante qu'il soit. La vraie galère donc, elle diffère selon l'existence de chacun et sa relativité est infiniement complexe, pourtant elle vous plonge dans un manque urgent et dans un vide tellement béant que chaque cellule du corps se met à s'activer par instinct pour y répondre. Et à ce moment là il n'y a plus de choses pour gêner les idées, il n'y a plus de plastique entourant du métal, entourant du bitume, entourant du béton, parce qu'à ce moment là on se met à ressembler fortement à de la terre. Cette terre est en train de mourir. Je ne veux pas parler d'urgence, j'ai confiance en elle bien plus que je n'ai jamais eu confiance en moi. Elle resiste bien mieux que vous et moi confondus, cependant c'est un fait. Il y a les ascenscions, des lignes droites qui filent vers le haut, et puis il y a les descentes. La terre est en descente, donc une ligne droite qui file vers le bas. Et nous remarquons que ce qui file vers le bas, de par des lois certainements complexes et physique, atteint son objectif bien plus vite que ce qui tente de grimper vers le ciel. La terre, donc, descends à toute allure vers son objectif lugubre et sans aucun doute, douloureux. La terre est malade. La terre a de la fièvre. Mon manque d'éducation participe à cette fièvre, de moins en moins aveuglement. Chaque chose que je possède, je le dois à quelqu'un qui le dois à la terre. Et donc la terre a de la fièvre parce qu'on la dépossède en même temps qu'on la dépèce. Celà ne me dérange pas dans le sens ou nous avons le droit du bonheur et de sa conquète. Mais voilà que le vide vient me discuter à nouveau. Et le vide me demande combien je possède de choses alors je compte et je lui dis. Le vide me demande ensuite combien j'ai connu de bonheurs, alors je compte et je lui dis. Le vide me demande enfin de créer un lien entre mon bonheur et mes choses, alors je compte et je le fais. Alors le vide éclate de rire et disparait. Quand le vide disparait, j'ajoute à ma liste de bonheurs le moment que je viens de passer avec lui. Et je ris moi aussi, j'éclate de rire comme un fruit gorgé de soleil, l'espace d'un instant la sensation d'un vide souverain me gagne à nouveau comme dans l'enfance. Un vide qui ne trouve pas sa place et qui appartient à la terre parce qu'il ressemble au vent, un vent qui se cogne régulièrement le crâne contre du bitume, sur lequel on a mis du béton, sur lequel on a mis du plastique. Sur lequel on a mis des décorations, par soucis du détail. A l'heure qu'il est, j'ai envie d'ajouter que je suis une enfant, mais pas seulement ça. J'ai envie d'ajouter que ma vie entière je m'obstinerais à être une enfant et aussi à être autre chose, qui peut sembler paradoxale, mais qui se veut grand comme un rire, petit comme un caillou. A l'heure qu'il est, j'ai une dent contre les décorations, les sous-couches, et cet abruti de boucher qui met la viande dans le papier blanc avec des carrés roses, ou rose avec des carrés blancs, peu importe, de la décoration.