Merci Satan.
Satan rode comme un chien sauvage, la
langue pendante dans les rues de Bruxelles et du monde, le poil cru
et hirsute il traine son odeur âcre, son ombre impulsive. Parfois,
il m'arrive de le voir passer dans le fond du décor. Parfois, il
arrive que son ombre me saute au cou, à la gorge qu'elle mord, et
parfois il s'enfuit.
Ailleurs le ciel est bleu. Les ennemis
du chien, particules de bonheur et de convictions, tentent vainement
de s'unir pour former des instants. Un contrôleur dans son uniforme
gris pute me jette un regard noir alors que j'ai le coeur serré, il
attend, il attend encore, vérifie que personne ne l'a vu, puis me
rend ma carte d'identité en me disant allez. File.
Cela fait exactement dix mois que je suis arrivé. J'ai vu des livres s'échanger sous le manteau dans le fond d'une classe, des livres de magie, de zombies, des histoires sombres et des auteurs de renommé, est-ce que tu as lu celui-ci? On échange.
J'ai observé le spectacle hideux et
brillant des jeunes humains qui tentent de s'approcher, qui avancent
et reculent, des toiles d'araignées invisibles se tisser pour durer,
se tisser pour casser. Il y a dix mois je mangeais mon premier
sandwich au thon, je buvais des cafés toute seule, et j'allais
parfois bien parfois mal. Satan rode comme un chien sauvage.
Ses yeux sont plus noirs que les trous
de la galaxie, les lumières blanches qui parfois traversent son
regard ne sont que des mensonges de clarté qui n'existe pas, son
museau anguleux renifle les chaussures, lèche les pieds des passants
qui sourient, ses dents sont aiguisés par la pourriture de sa gueule
et de ses entrailles, elles sont jaunes comme sa pisse, ancrées dans
des gencives solides dont la chaire survit à toutes les morts
envisageables, son haleine est un véritable cauchemar et le voilà
qui marche d'un pas tranquille de clébard orphelin. La main d'un
enfant parfois se tend et le caresse, hérissant ses oreilles et son
sourire cynique. Il dit aux mômes qu'il est bien là, qu'il les
attend, à chacun il dit à bientôt, nous allons nous revoir.
Un matin mon ami Autruche rentre à la
maison, pose ses clés sur la table et me regarde. Son visage est
brisé, son oeil droit est couvert d'hématomes, une lame a entaillé
sa joue, une partie infime de son cou juste derrière l'oreille, le
sang a séché sur ses pommettes, sur sa paupière enflée se mêlent
le jaune et le mauve des coups qu'il a reçu. Le chien se lèche les
babines. Marcher dehors c'est plus possible.
Ailleurs, le ciel est bleu. Les ennemis du chiens, particules d'idées fixes et de sentiments vierges, tentent vainement de s'unir. J'aurai voulu être quelqu'un de bien, j'aurai voulu être exactement ce qui était méticuleusement programmé par mes soins. La gueule du chien est passé dans le fond du décor, il m'a laissé le temps de croire à des choses dont lui seul connait la profonde vacuité. Il s'est approché sans même me lancer un regard et dans la grande faiblesse qui me compose, je lui ai bêtement tendu ma main pour qu'il la lèche. Mes yeux pour qu'il les bouffe. Satan rode comme un chien sauvage ailleurs le ciel est bleu.