Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
PAN! Thé mort.
17 janvier 2011

Cher Milo,Aujourd'hui j'ai trouvé le monde

Cher Milo,
Aujourd'hui j'ai trouvé le monde exécrable, je me suis sentie plus lucide que jamais. Le métro avait son éternelle habitude, c'est à dire que les plus intelligents gardaient la tête baissée et le silence pendant que les idiots jacassaient à voix si haute qu'on croirait presque que c'est important, je veux dire, d'être idiot. Et peut être que c'est important, et je suis fatiguée.
Je ne sais plus ou te trouver, ou te voir, je t'écris alors dans le vide. J'ai compris toutes les choses à comprendre, elles étaient assez simple pour que mon cerveau puisse en faire quelque chose. Le triste constat est en fait redondant, puisque tu es le Bien, intouchable, ouaté par la lumière de l'impossible, et j'ai compris que Jama n'était autre que le mal, et que tous les hommes qui tentent de créer quelque chose en reviennent à ce point. Jama écrit un livre, je l'ai vu faire à bord de son navire, mais ce livre n'est autre que celui-ci. Nous l'écrivons à deux lui et moi, à force de castagne éternelle, il est l'animal qui se débat et m'empêche d'écrire le mot fin, il est exactement ce pourquoi je m'obstine.  Il est cette arme blanche qui habite tout mon corps lorsque je tombe amoureuse et qu'un jour je m'en vais en brisant toute une âme, c'est ainsi que la piraterie garde une place dans mon siècle, dans ma génération. Je dois te parler à nouveau de cette génération Milo, il y a quelque chose de bizarre qui tente d'éclore en elle, j'ai vu à la télévision qu'un 31 décembre des oiseaux morts sont tombés du ciel par centaines dans je ne sais quel pays, et aujourd'hui dans le métro, dans les blousons en faux cuir et dans le maquillage j'ai encore ressenti quelque chose qui ne devrait pas être, et les yeux de Jama étaient dans les yeux de tout le monde, et tes yeux s'ajoutaient en filtre par dessus tout ça, rien n'était dissociable, à aucun moment.
Les pensées qui à présent m'envahissent sont : Accepte les motifs hideux de ce tapis sur le sol, accepte les lignes droites de chacune des maisons, et les points de fuite, la perspective indestructible de chaque chose que tu vois, accepte qu'il vente et qu'il pleuve, sois heureuse et armée, les pensées que mes instincts m'ordonnent sont : Tu es ici chez toi, entièrement chez toi et tu peux tout y faire, et tu dois tout y faire.
Lili est mon enfance, je grandis à toute allure avec les phalanges contractés par la rébellion, je refuse de la perdre, comment va-t-elle, la gosse? Dans la maison, sur le bitume, accroché aux troncs d'arbres je vois encore parfois ces taches de nacre blanc, la raison c'est ça? Mais j'aurais du écrire cette histoire lorsque j'avais sept ans, lorsque j'étais ce véritable Capitaine aux froncils froncés et à l'imagination débordante. La vérité Milo, c'est que je n'arrive plus à voir quand je ferme les yeux, et cela me rend plus triste que n'importe quel aveugle qui perdrait la vue du réel. Ce constat, c'est comme poser toutes mes épées de bois sur le sol, et tous mes jouets de plastique juste aux pieds du très grand, de l'impitoyable Capitaine Johnny Jama. Ce constat, Milo, ça veut dire fermer les yeux, et laisser les chiens me bouffer la carcasse.

Me manque l'époque ou je pouvais encore croire que ta main se poserait un jour sur mon épaule, me manquent les lumières de Mille-Pourpre et les heures à marcher dans les rues, seule avec toi, à faire bouger mes lèvres pour dire des mots sans son, et puis ces personnages bien mieux que les humains qui étaient ma bande pour toujours et ne me lâcheraient pas. Il y a dans cette lettre, des mots qui manquent à ma langue et des phrases que je n'arrive pas à dire, des larmes qui s'écrasent parce que je suis vraiment trop sensible pour la piraterie, les cheveux de paille de Lili, parle moi de Lili, dis moi combien de cheveux elle possède, combien d'égratignures aujourd'hui sur ses joues? Est-ce normal que ma peau soit tremblante alors que tout se passe à l'intérieur? Cher Milo, t'écrire me fait du bien, je sens Jama au bout de mes doigts, et ton torse au travers du mien, la sensation de picotement qui doit se produire sur deux aimants qui se repoussent avec dégout et ne fonctionnent pourtant qu'ensemble, combien d'humains ont pu écrire à ce sujet? Embrasse Jama, et…

Une main se posa sur l'épaule de Capitaine. La chambre dans laquelle elle écrivait depuis peu était éclairé par un ciel blanchâtre au travers d'une fenêtre carrée sur le mur d'en face, un fond de thé refroidissait dans une tasse solidaire. La main était très pâle mais on sentait qu'une force ordinaire l'habitait, dans la pliure concrète des phalanges on sentait que tout était là, le sang circulait bien, la température était celle d'une main ordinaire, le poids et la texture étaient ceux d'une main véritable, tout semblait parfaitement réel,  le poignet qui tenait cette main était tout aussi réel que le torse nu, le pantalon de toile de jute, les cheveux rouges aux reflets roux, les yeux étaient des amandes parfaites, leur couleur était le gris, rien ne laissait à discuter.

-Tu veux vraiment que j'embrasse une personne qui sent la morue à plein nez? Je vais plutôt dire non. Et Franchement je suis épuisé. Je peux m'assoir? Merci.

Milo attrapa la lettre avec cette main qui fascinait complètement Capitaine et la déchira en marmommant quelque chose, du genre "grmmramassi de conneries", puis il s'assit directement sur le sol et prit une très grande bouffée d'air. Capitaine le trouva plus grand que dans sa tête, puis elle pensa que c'était logique étant donné la taille réelle de son crâne. Bien sur, en tant qu'humaine idiote et sensible, elle ne fit rien d'autre que le regarder et pleurer. Milo sortit de sa poche une cigarette blanche et mauve, une odeur de myrtille s'installait dans la pièce.

Publicité
Commentaires
P
Putain de Gloire.
V
"La seule chose insupportable c'est que rien n'est insupportable."
P
Je n'oublies rien, ou du moins pas ce genre de trucs. "Elle est retrouvée ! Quoi? L'éternité.", "L'amour est à réinventer", "jamais homme n'eut pareil voeux, pourquoi cherchait-il tant à s'éloigner de la réalité?".<br /> <br /> "Dans les bourgs ou nous nous enivrions, il pleurait en considerant ceux qui nous entouraient, bétail de la misère. Il relevait les ivrognes dans les rues noires. Il avait la pitié d'une mère méchante pour les petits enfants, il s'en allait au catéchisme avec des airs de petite fille, il feignait d'être éclairé sur tout, art commerce, medecine... "
F
"J'ai tendu des cordes de clocher à clocher; des guirlandes de fenêtres à fenêtres; des chaines d'or d'étoile à étoile, et je danse."
Publicité